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Les Mafiosociopathes
28 novembre 2009

Chapitre II

    La musique. Pour Little Man, c’était l’une des plus belles inventions de l’homme, de toute l’Histoire de l’humanité. Après tout, la musique n’avait-elle pas été un pilier pour le mouvement hippie ? De ce fait, Little Man se baladait toujours avec son iPod dans la poche de son jean et une ou deux batteries de rechange. Il appréciait le silence, aussi, mais le silence pur : surtout pas celui qu’offre les parcs, avec les cris des gamins. À la limite, le gazouillement des oiseaux était mélodieux et le ramenait à la nature ; un autre pilier des hippies. Sans oublier sa fumette de marijuana presque tous les jours et la prise de temps à autres de LSD. Ses habits orientaux terminaient de faire de lui un hippie fini.
- Arrête un peu ce boucan ! gueula Pelucheman qui essayait de se concentrer sur ce que disait son ami l’ourson cousu sur sa poche poitrine.
    Little Man, complètement obnubilé par sa musique, n’était même pas conscient de la présence de Pelucheman. Ce dernier, plus qu’impatient lorsqu’il s’agissait de peluches, arracha le casque des oreilles du hippie.
- Eh ! protesta l’agressé.
- Vos gueules ! hurla Droopyman.
    Droopyman supportait relativement bien les énormes bruits qui sortaient du casque de son petit frère, mais pas du tout les gens qui criaient autour de lui.
    Tous trois, accompagnés de Gay qui faisait — une fois de plus — le chauffeur, se trouvaient dans une voiture noir chromé aux vitres teintées et aux sièges en cuir couleur bordeaux. Luxueuse, mais pas excessivement spacieuse. Little Man était assis à la droite de Gay, à la place du mort ; Droopyman et Pelucheman se trouvaient respectivement aux places des grands brûlés de droite et de gauche.
    Cela faisait une demi-heure qu’ils roulaient en direction de la Bank of Liberty. Cela faisait une demi-heure que Little Man écoutait sa musique avec le son au maximum. Une demi-heure que Droopyman réfléchissait sur ce fond sonore plutôt singulier de nos jours — mais presque habituel pour lui — au plan qu’il avait fini de mettre au point une semaine plus tôt ; plan qui allait être exécuté aujourd’hui. Une demi-heure que Pelucheman tentait de dialoguer avec son nounours. Une demi-heure que Gay se demandait s’il n’allait pas finir fou, lui aussi… ou bien l’était-il peut-être déjà ?

 

- Bonjour. Je suis Monsieur Boum et voici mon assistant, Lawrence, et mes deux associés : Monsieur Vroum et Monsieur Piouf. J’ai téléphoné au patron, il y a deux jours ; il m’a dit qu’il serait là aujourd’hui.
    Droopyman connaissait son discours par cœur. Cela faisait des jours qu’il le répétait, inlassablement, trois ou quatre fois devant son miroir avant d’aller se coucher. Vi commençait à en avoir un peu marre : cela nuisait, étrangement, à ses performances sexuelles.
    L’employé de la banque devenait tout pâle, suait, tremblait légèrement ; angoisse face à un client important ou crainte face à des hommes sans doute influents, armés et pas patients ? Le patron était effectivement là, mais il était avec la nouvelle secrétaire dans son bureau et avait demandé à n’être dérangé sous aucun prétexte. Le pauvre jeune homme essaya d’articuler :
- Il… Il a demandé à ne pas être dérangé pour le moment. Si vous voulez bien… l’attendre… dans le couloir à côté de son bureau… là, sur votre droite.
    La vérité, c’était que le directeur était un homme vaniteux, se croyant au dessus de tout (même des familles italiennes qui étaient toujours prêtes à couper le fil qui le maintenait en vie). De ce fait, il avait totalement oublié qu’il avait une transaction importante à effectuer aujourd’hui, et avait décidé de prendre un peu de bon temps dans son bureau afin de tester les capacités de sa nouvelle employée.
    Agrippé à son guichet, le garçon déglutit avec difficulté, puis attrapa doucement le téléphone pour appeler son patron. Il approcha l’appareil de son oreille tout en desserrant sa cravate. Quand finalement son supérieur daigna répondre — en gueulant et en menaçant le malheureux de le renvoyer — il mit cinq bonnes minutes à se faire comprendre.
- Mais enfin, imbécile ! Il fallait le dire plus tôt !
- Oui, Monsieur Lorent. Je suis désolé, Monsieur Lorent. Bien, Monsieur Lorent, je vais le leur dire tout de suite. Veuillez encore m’excuser, Monsieur Lorent.
    Il raccrocha, trop heureux d’avoir évité la catastrophe. Puis il alla voir “Boum”, “Lawrence”, “Vroum” et “Piouf”. Il avait retrouvé son calme, et pensait clairement à présent : ces clients avaient des noms vraiment bizarres ; pour ne pas dire carrément cons.
- Monsieur Lorent, le directeur, m’a dit de vous faire entrer. Si vous voulez bien me suivre…
    Il fit cinq mètres et ouvrit une porte blindée qui devait bien faire une petite tonne. Vraiment parano ce directeur, pensa Droopyman tandis que Pelucheman devait se retenir d’afficher un immense sourire d’excitation. Little Man se concentrait sur une musique qu’il avait en tête et répétait tout bas : “Peace and Love” en tenant son pendentif éponyme. Gay traînait, sans que ce fût trop visible, un peu des pieds et regardait ses pompes qui n’étaient plus très neuves. Il faut que je les change, se dit-il.

 

- Comment ça vous ne pouvez pas prendre mon argent ? Vous insinuez qu’il est sale, peut-être ? s’insurgea Droopyman qui n’aimait pas la tournure que prenaient les choses.
- Je n’insinue rien du tout, Monsieur Boum — quel nom débile. Je ne fais que constater un fait.
- Je m’en vais faire constater à votre médecin que vous avez une case en moins, moi ! renchérit Pelucheman.
    Gay restait toujours à contempler ses chaussures pendant que tout le monde se hurlait dessus autour. Même le surdétendu et lunatique Little Man avait pris part au conflit en avançant que cet argent était tout ce qu’il y avait de plus propre au monde, et ne pas le prendre était une erreur grave et inadmissible ; impardonnable !
    Mais au bout de cinq minutes, on se calma. Droopyman se rassit et dit aux autres de faire de même. Il reprit, l’air un peu crispé :
- Veuillez nous excuser. J’ai mis longtemps à rassembler cet argent avec mon associé — qui n’a pas l’air concerné le moins du monde, et nous ne comprenons pas pourquoi vous ne voulez pas nous donner des lingots de messieurs Vroum et Piouf en échange.
- C’est bon, je vais faire comme si de rien était pour cette fois-ci, répondit Lorent.
    Droopyman fronça les sourcils. Ce gros et flasque directeur, tout ridé et décrépi, que la calvitie gagnait, se prenait pour le roi du monde, pour oser leur parler sur ce ton !
- Si je ne peux pas prendre votre argent, Monsieur Boum, c’est à cause de la nouvelle loi concernant les transactions de ce type qui va être mise en application dans quelques jours. Personne ne sait de quoi il s’agit, mais à l’avenir, il faudra sans doute présenter bien plus que des papiers d’identité et des billets verts. On parle d’empreintes digitales et dentaires, de prises de sang et d’interrogatoires spéciaux en cas de doute. À l’approche d’une telle réforme, vous comprenez bien que je ne peux pas me permettre d’échanger une si grosse somme d’argent contre les lingots du compte de l’un de mes meilleurs clients.
- En fait, vous doutez de moi, dit Droopyman, de nous, et donc vous voudriez que nous attendions une semaine, le temps que cette nouvelle loi dont je n’ai jamais entendu parler soit mise en vigueur.
- Exactement.
- Vous vous foutez vraiment de nos gueules ! s’exclama Pelucheman qui discutait jusqu’alors avec son nounours.
    Droopyman et ses trois amis se regardèrent une seconde, comme pour se poser la question : on le laisse en vie ou on le tue à petit feu ? Puis le parrain fit un petit signe de la main à son frère qui sortit un pistolet de sa veste et le pointa sur le directeur.
- Très bien, monsieur le directeur… ou devrais-je dire Lorent le bouseux ? s’esclaffa Droopyman.
    Le directeur écarquilla les yeux à un tel point qu’on eut l’impression qu’ils allaient sortir de leur orbite.
- Oh, et ne pensez même pas à appuyer sur le petit bouton placé sous votre bureau pour appeler la sécurité. D’une part, il n’y a pas de caméra ici — sinon n’auriez-vous pas honte que vos propres employés épient vos ébats sexuels avec les secrétaires ? — et d’autre part, cette porte est bien trop lourde pour que quiconque la force. Et on ne peut entrer que si l’on est en possession de la clé magnétique que vous avez toujours pendue autour du coup ; elle est unique au monde. Une seule de ces informations serait-elle fausse, monsieur le Bouseux ?
    Le directeur fit non de la tête. Il était à deux doigts de faire dans son pantalon. Ce surnom, le bouseux, remontait à si loin, mais les souvenirs étaient toujours si nets, comme s’ils dataient d’hier ! Lentement, en suivant les mouvements du pistolet braqué sur lui, il s’éloigna de son bureau.
- Bien. Il est obéissant, le gros… pardon, le Bouseux, dit Pelucheman en se fendant d’un sourire purement sadique. Maintenant, est-ce que la transaction est possible ?
    Lorent hocha la tête avant de s’évanouir. Petite nature ! se dit Gay qui quitta alors des yeux ses chaussures.

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